Le Spitzberg, avec une surface de 40 000 km2, est la plus grande des îles de l’archipel de Svalbard. Les roches du socle composées de matériel de croûte continentale sont constituées par des séries protérozoïques et paléozoïques. Dans la région Nord-Ouest du Spitzberg, se trouvent trois centres d’activité volcanique quaternaire : Sverrefjell, Sigurdfjell et Halvdanpiggen. Ces trois centres contiennent de nombreux xénolites de roches du manteau supérieur et de la croûte inférieure. Le volcanisme du Spitzberg est lié à l’activité du point chaud de Yermak, initié lors de la mise en place d’une ride de type Islande, au Nord du Spitzberg (la ride Nansen). Les xénolites mantelliques du Spitzberg remontés à la surface par les magmas basaltiques alcalins quaternaires ont été classés en deux groupes et ont fait l’objet de nombreuses études. Le premier, constitué de lherzolites à diopsides chromifères et spinelles, correspond aux fragments plus ou moins réfractaires et métasomatisés du manteau supérieur péridotitique et le second est formé de ségrégats magmatiques cristallisés directement dans le manteau supérieur. En revanche la présence d’enclaves composites montrant des encaissants péridotitiques et des veines de pyroxénites, n’avait été que simplement signalée et ces enclaves n’avait jamais fait l’objet d’une étude systématique.
La majorité des échantillons composites est similaire, du point de vue de la composition en éléments majeurs et traces à ceux des péridotites non composites étudiés par Ionov et al. (2002). Plus précisément, les clinopyroxènes de type I des échantillons composites ont des compositions en éléments traces similaires aux clinopyroxènes de type 1 des échantillons non composites définis par Ionov et al. (2002). Pour ces enclaves non composites de type 1, Ionov et al. (2002) proposent un modèle de formation en deux temps. Tout d’abord, la fusion partielle d’un coin de manteau péridotitique avec la formation de résidus caractérisés par des spectres de terres rares de leurs clinopyroxènes de type appauvris en terres rares légères. Ces résidus de fusion seraient ensuite métasomatisés par des magmas carbonatés qui provoquent le réenrichissement des clinopyroxènes en terres rares légères. La seconde étape du modèle de Ionov et al. (2002) ne nous pose aucun problème particulier et nous proposons que les enclaves composites de type 1 ont subi le même métasomatisme carbonaté que les enclaves non composites de Ionov et al. (2002). En ce qui concerne la première étape de formation, Ionov et al. (2002) proposent un appauvrissement en éléments les plus incompatibles par fusion partielle et estiment des compositions en éléments traces de roches totales après l’épisode de fusion partielle et avant celui d’enrichissement en terres rares légères (métasomatisme). Les spectres de terres rares des clinopyroxènes de type II d’un de nos xénolite composite ont des formes très similaires à ceux de la péridotite résiduelle estimée la plus fertile par Ionov et al. (2002). Cet échantillon pourrait donc représenter cette roche initiale prémétasomatique théorique de Ionov et al. (2002). Par contre cet échantillon composite ne peut pas être un simple résidu de fusion partielle puisqu’il contient des veines qui sont la trace de la circulation de magmas dans le manteau. Il apparaît donc qu’un autre processus qu’une simple fusion partielle doit être envisagé pour expliquer l’appauvrissement des clinopyroxènes en terres rares légères avant leur réenrichissement par métasomatisme. Cet appauvrissement en terres rares légères pourrait être provoqué par des réactions métasomatiques avec des magmas franchement tholéitiques, de type MORB. Pour tester cette hypothèse, nous avons calculé le spectre de terres rares du liquide théorique à l’équilibre avec les clinopyroxènes de notre échantillon à l’aide des coefficients de partage clinopyroxène/basalte tholéitique. Le spectre de terres rares de ce liquide théorique se projette dans le champ de compositions en terres rares des basaltes tholéitiques de l’Atlantique Nord. Cette similitude de composition en terres rares nous permet de proposer une nouvelle première étape de formation de ce type de roches, étape reliée au processus d’ouverture de l’Atlantique Nord qui a débuté il y a environ 60 Ma dans le secteur du Svalbard. En effet, l’appauvrissement précoce en terres rares légères des clinopyroxènes des xénolites composites (cette étude) ou non (Ionov et al., 2002), pourrait être dû, non pas à un simple épisode de fusion partielle, mais à la circulation dans le manteau de magmas tholéitiques formant des veines et réagissant avec les péridotites encaissantes. Ce métasomatisme tholéitique expliquerait donc l’appauvrissement des clinopyroxènes en éléments les plus incompatibles et correspondrait au stade I de formation des enclaves composites ou non, du Spitzberg. Les roches mantelliques ainsi formées seraient ensuite, comme le proposent Ionov et al., 2002 en étape II, métasomatisées par des magmas carbonatés, provoquant le réenrichissement partiel en éléments les plus incompatibles des minéraux, notamment en terres rares légères, par métasomatisme cryptique. En effet ce réenrichissement décrit par Ionov et al. (2002) dans des péridotites non composites et correspondant au deuxième stade d’évolution des enclaves du Spitzberg, s’observe dans les spectres de terres rares et les spectres étendus des clinopyroxènes de type I des enclaves composites de notre étude.
par Georges CEULENEER, Pierre GENTHON, Michel GREGOIRE, Marc MONNEREAU, Anne ORMOND,
Michel RABINOWICZ et Mike TOPLIS.