La question de l’apparition de la vie a longtemps fait partie des thèmes plus abordés par la religion que par la science. Si l’on sait aujourd’hui assez bien dater l’émergence de la vie sur Terre, le mécanisme de son apparition est loin d’être élucidé.
C’est le sujet d’une troublante expérience menée en 1952 par Miller (voir ci-contre). Ce dernier a montré que dans des conditions reproduisant celles régnant sur Terre il y a quelques milliards d’années, des composants essentiels à la vie peuvent émerger spontanément, à partir de réactions chimiques simples et de quelques éclairs.
Les premières traces de la vie
Selon les théories communément admises, l’Univers est vieux de 13.7 milliards d’années, et la Terre n’aurait que 4.5 milliards d’années. De manière surprenante, il semblerait que la vie y soit ensuite apparue assez rapidement, puisque les plus anciennes traces indirectes dont nous disposons seraient celles de cyanobactéries ayant vécu il y a environ 3.5 milliards d’années.
Ci-contre un fossile de cyanobactérie, bien visible mais beaucoup moins vieux, à peine 850 millions d’années.
L’hypothèse d’Oparin
Au début du XXème siècle, l’hypothèse d’une apparition de la vie sur Terre à partir de processus chimiques spontanés n’était pas la plus en vue. A la fin du XIXème, des gens très sérieux comme Lord Kelvin ou Hermann von Helmoltz penchaient plutôt pour une autre théorie, celle de la panspermie, selon laquelle la vie aurait été apportée par des météorites.
Un des arguments contre l’hypothèse d’une apparition spontanée de la vie était que les molécules de bases du vivant, comme les protéines ou l’ADN, sont très facilement dégradées en présence d’oxygène. C’est un des paradoxes de notre métabolisme, et c’est d’ailleurs pour cela que notre organisme a besoin d’antioxydants. Dès lors comment les premières molécules auraient-elles pu apparaître et se développer dans une atmosphère terrestre pleine d’oxygène ?
Dans les années 1920, le biochimiste russe Alexander Oparin propose une hypothèse audacieuse : il y a quelques milliards d’années, l’atmosphère terrestre était peut être différente, dénuée d’oxygène; et dans ces conditions les molécules de base du vivant auraient pu se former et s’assembler sans être dégradées. Cela peut paraître étrange d’imaginer la vie sur une Terre initialement dépourvue d’oxygène, mais on sait maintenant que c’est précisément l’apparition de la vie, et en particulier la photosynthèse, qui a enrichi l’atmosphère terrestre en oxygène il y a environ 2 milliards d’années !
L’hypothèse d’Oparin permet donc d’imaginer des réactions chimiques ayant lieu au contact d’une atmosphère non oxydante, et pouvant produire de manière stable les premières molécules indispensables à la vie. Il fallut pourtant attendre 30 ans avant de voir cette hypothèse testée, grâce aux expériences de Miller et Urey.
L’expérience de Miller
En 1952 Stanley Miller, alors étudiant de Harold Urey, a réalisé une expérience fascinante prouvant la crédibilité de l’hypothèse d’Oparin. L’idée semble toute simple : recréer en laboratoire les conditions régnant sur Terre à l’époque de l’apparition de la vie !
Pour cela, Miller utilisa 3 ingrédients : un mélange de gaz censés représenter l’atmosphère terrestre primitive (hydrogène, méthane et ammoniac, et bien sûr pas d’oxygène !); une fiole remplie d’eau chauffée, pour simuler l’océan; des décharges électriques, sous forme d’étincelles pouvant représenter l’impact d’éclairs.
Le schéma de l’expérience est représenté ci-contre. En réalisant une circulation de l’atmosphère et en la soumettant à des éclairs, Miller a d’abord constaté des changements de couleur : le liquide collecté est devenu rose. Puis au bout d’une semaine d’expérience, il a analysé le contenu de la soupe ainsi formée.
Stanley Miller a pu mettre en évidence dans sa fiole la présence de 11 types différents d’acides aminés. Avec du gaz, de l’eau et des éclairs, Miller avait reconstitué les premières briques élémentaires de la vie sur Terre !
Les acides aminés formés
Dans notre organisme, la plupart des fonctions sont assurées par des protéines. Celles-ci sont toutes assemblées à partir des mêmes briques : les acides aminés. Le terme « acide aminé » désigne en fait un ensemble particulier de molécules organiques qui sont toutes conçues sur le même modèle. Le schéma ci-contre en montre la formule générique : un groupe COOH (l’acide, à droite), un groupe NH2 (l’amine, à gauche), et au milieu un radical R, où R peut désginer à peu près ce que l’on veut à base de C, N, H ou de S.
Par exemple, le radical R le plus simple est un unique atome d’hydrogène : on obtient alors l’acide aminé glycine. Si R vaut NH2, vous obtenez l’alanine. Et on peut utiliser des R bien plus compliqués. En théorie, il existe une grande quantité d’acides aminés possibles (autant que de manière de choisir R). En pratique, la vie telle que nous la connaissons utilise seulement 20 acides aminés.
Initialement, Stanley Miller n’en avait trouvé que 11 différents dans sa soupe. Mais depuis, on a analysé les résultats de son expérience avec des méthodes plus fines, et l’on s’est rendu compte qu’il en avait en fait créé environ 25, dont certains types ne sont pas utilisés par les organismes vivants de la Terre !
Un autre point intéressant concerne la chiralité des molécules. En raison de sa forme, une molécule d’acide aminé peut en principe exister sous deux formes distinctes : la forme « gauche » et la forme « droite ». Ces deux versions de la même molécule sont l’image l’une de l’autre dans un miroir (voir ci-contre pour les deux variantes de l’alanine).
Dans son expérience, Miller avait produit autant de molécules « gauches » que « droites ». Et pourtant dans la vie telle que nous la connaissons, on ne trouve que des acides aminés « gauches ». Un mystère qui n’est pas à ce jour résolu !
Variantes autour de l’expérience de Miller
Depuis l’expérience initiale, plusieurs variantes ont été réalisées. Tout d’abord on peut noter que conformément au raisonnement d’Oparin, si on met de l’oxygène dans les gaz de l’expérience, il n’y a pas de création d’acides aminés. Pour prendre en compte certaines hypothèses sur la composition de l’atmosphère primitive, des expériences ont été menées en ajoutant d’autres gaz, comme du H2S ou du SO2 qui peuvent être émis par les éruptions volcaniques. Et dans ce cas encore plus d’acides aminés différents sont créés !
Enfin certaines expériences ont pu montrer qu’il est également possible de créer des acides nucléiques, qui sont les ingrédients de base du code génétique formé par l’ADN. Tout ceci ne prouve évidemment pas définitivement le scénario d’une origine purement terrestre de la vie, mais démontre que cette hypothèse est réaliste. Au-delà de ces questions, tout un tas d’énigmes demeurent, notamment sur la manière dont est apparu le code génétique, la formation des couches lipidiques qui constituent les membranes des cellules, etc.
De surcroit, la vie nous pose un amusant problème de poule et d’œuf : sachant que le code génétique permet de synthétiser les protéines, mais que les protéines sont indispensables à la réplication du code génétique, lequel des deux est venu en premier ?
Références et illustrations
Sur les éléments de base de la vie, mon billet sur la bactérie à l’arsenic;
La très complète page Wikipédia sur l’abiogenèse;
Le schéma de l’expérience de Miller est adapté par mes soins de celui de Wikimédia;