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Les forages récents dans les aquifères karstiques des montes de Tlemcen

INTRODUCTION

L’Ouest algérien a connu ces deux dernières décennies une baisse de la pluviométrie. Ce déficit pluviométrique a engendré une sécheresse prolongée et grave. Le tarissement de certaines sources qui alimentaient la population de Tlemcen et la faible recharge des deux seuls grands barrages existant à l’époque dans la région, dont le barrage des Beni-Bahdel et celui du Meffrouch, a amené les autorités locales à lancer des prospections des eaux souterraines à travers les monts de Tlemcen. Ces derniers ont toujours constitué l’une des régions les plus arrosées de l’ouest de l’Algérie, ce qui leur a valu le qualificatif de château d’eau naturel de tout un ensemble d’agglomérations faisant partie de la wilaya de Tlemcen, de Ain-temouchent et d’Oran.

L’exploitation des réservoirs souterrains mis en évidence dans les monts de Tlemcen, a commencé d’une manière intense dès l’année 1984 avec des programmes de forages toujours réalisés en urgence. Ainsi nous comptons, jusqu’à l’heure actuelle, plus de 100 forages hydrauliques réalisés dans différents programmes par l’ANRH (Agence Nationale des Ressources Hydrauliques) et la DHWT (Direction de l’Hydraulique de la Wilaya de Tlemcen).

Dans cet article, nous présentons une première synthèse des résultats de l'étude des monts de Tlemcen (Fig.1), obtenus à partir des données de forages.

Figure 1: Situation géographique des monts de Tlemcen
Figure 1: Situation géographique des monts de Tlemcen

APERÇU GEOLOGIQUE, ET HYDROGEOLOGIQUE DES MONTS DE TLEMCEN

Le domaine étudié est compris entre les horsts de Ghar Roubane à l’Ouest et le môle de Tiffrit à l’Est. Il est constitué de terrains d’âge Jurassique supérieur et Eo-Crétacé. Le Lias et le Jurassique moyen n’affleurent que dans la partie occidentale, par contre le Trias n’apparaît qu’en faveur de structures dia pyriques

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Au nord des monts de Tlemcen le jurassique s’enfouit très rapidement sous des épaisseurs importantes du Miocène essentiellement marneux. Ceci a été mis en évidence par diverses études géophysiques par sondages électriques menées dans la région (Algéo,1979).

Au sud, le jurassique disparaît aussi sous les dépôts néogènes essentiellement conglomératiques appelées conglomérats des hauts plateaux (Col1ignon,1986). Dans les monts de Tlemcen, les dépôts du Plio-Quaternaire ne sont présents que dans les fossés d’effondrement et les dépressions, tel que le fossé de Sebdou et le plateau de Terni.

Nous utiliserons pour illustrer cela, le log litho stratigraphique proposé par Benest et al (1999). Dans le bassin miocène, seuls les grés tortoniens et les conglomérats plio-quaternaires sont aquifères et alimentent quelques sources à faible débit (Bensaoula,1992). Les seuls niveaux intéressants sont les formations calcaréo-dolomitiques de Tlemcen et de Terni (Fig. 2).

Les eaux issues de ces aquifères sont d’une qualité physico-chimique bonne avec une faible minéralisation. Les eaux sont de faciès bicarbonaté calcique ou magnésien. Les formations du Lias et du Dogger ont donné généralement des eaux chargées 1,6 à 3,5 g/l à la limite de la potabilité (Achachi,1996).

Figure 2: Log litostratigraphique synthétique des monts de Tlemcen (Benest et al. 1999)
Figure 2: Log litostratigraphique synthétique des monts de Tlemcen (Benest et al. 1999)

RECONAISSANCE HYDROGEOLOGIQUE ET MOBILISATION DES EAUX

Les seules prospections effectuées avant 1970 sont celles du barrage Meffrouch et une profonde reconnaissance dans la région de Beni Bahdel. Les prospections ont ensuite touché les piémonts sud des monts de Tlemcen où les ressources en eau ont toujours été faibles (Bensaoula et al. 2003). Dès les années 80, le développement industriel ainsi que la démographie de la région de Tlemcen ont poussé les autorités locales à multiplier les prospections par forages pour mobiliser une ressource en eau plus grande. Ceci explique la montée en flèche du nombre de mètres linéaires forés entre 1980 et 2000. La situation devient alors plus stable car les débits mobilisés sont assez suffisants pour subvenir aux besoins de la population.

Tableau 1: État des réalisations de forages à travers les monts de Tlemcen (Bensaoula et al. 2003)
Tableau 1: État des réalisations de forages à travers les monts de Tlemcen (Bensaoula et al. 2003)

FORAGES HYDRAULIQUES ET NATURE DES FORMATIONS TRAVERSEES

Dans le cadre de ce travail, nous avons utilisé les données de plus de 100 forages visant les formations du Jurassique supérieur et réalisés dans le cadre de la prospection menée par les services de l’ANRH et de la DHW de Tlemcen. Les coupes, observées dans ces ouvrages, sont interprétées selon les travaux cartographiques de Doumergue (1926), Auclair et Biehler (1965), Benest (1985), Collignon (1986), Bensaoula (1992), Benest et al (1999).Généralement, les eaux mobilisées par ces ouvrages sont destinées à l’alimentation en eau potable de la population.

Dans la figure 3, il apparaît que les forages se répartissent surtout sur les bordures nord des monts de Tlemcen et où les agglomérations sont les plus peuplées de la région. Aussi, les conditions hydrogéologiques pour ce type de captages d’eaux souterraines sont favorables.

Sur la figure 3, nous avons représenté les forages des piedmonts nord des monts de Tlemcen qui sont au nombre de 78 (réalisés dans la période 1980-2000) et que nous avons utilisé pour tracer le graphe de la figure 4. Précisons que lors des implantations de ces forages, les deux formations calcaréo-dolomitiques de Tlemcen et de Terni sont visées. Nous voyons que les linéaires forés pour les forages que nous avons cité plus haut s’élèvent à plus de 17 km dont 49% seulement ont concerné les formations aquifères recherchées.

Figure 3: Plan de situation des forages à travers les monts de Tlemcen
Figure 3: Plan de situation des forages à travers les monts de Tlemcen
Figure 4: Profondeurs cumulées des forages pour les différentes formations géologiques traversées
Figure 4: Profondeurs cumulées des forages pour les différentes formations géologiques traversées

Il apparaît bien que les dolomies de Tlemcen sont nettement dominantes car elles sont souvent visées par le prospecteur. Les forages les plus profonds ont atteint 497 m dans le groupement de Tlemcen, 400 m sur les piedmonts Est et jusqu’à 700 m dans la zone frontalière. Ainsi on constate que 46 % des forages sont à une profondeur comprise entre 0 m et 200m, 27 % entre 200 et 300 m et enfin 27 % sont à une profondeur supérieure à 300 m.

FORAGES HYDRAULIQUES ET KARSTIFICATION DES FORMATIONS CARBONATEES

Les deux séries calcaréo-dolomitiques constituent sans conteste les meilleurs aquifères potentiels dans les monts de Tlemcen. L’important nombre des forages réalisés nous permet de confirmer les observations de Collignon (1986) tout au début de ses prospections, il y’a de cela près d'une vingtaine d’années.

En effet les indices de karstification en profondeur sont surtout des fissures ou des cavités qui se traduisent par des pertes de boue de forages, totales ou partielles, au cours des travaux de réalisation ou alors par des chutes libres d’outils. Nous avons représenté dans la figure 5, une distribution des linéaires forés pour les situations citées plus haut. Nous remarquons que le niveau dolomitique inférieur ou dolomies de Tlemcen (Fig.2) est dans les trois situations celui qui présente le plus d’indices de karstification.

Figure 5: Indices de karstification dans les formations calcaréo-dolomitiques de Tlemcen et de Terni
Figure 5: Indices de karstification dans les formations calcaréo-dolomitiques de Tlemcen et de Terni

HETEROGENEITE DE LA KARSTIFICATION DES DOLOMIES DE TLEMCEN

Sur la base de nos travaux de terrain et de ceux de Benest (1985), Collignon (1986), Bensaoula (1992), on peut dire que la karstification de ces formations carbonatées est très hétérogène, tant en profondeur qu’en surface. Ceci peut être illustré par plusieurs exemples et dont le cas des forages de Zeddiga (piedmonts nord des monts de Tlemcen) en est le plus significatif (Fig. 6).

Figure 6: Colonnes lithologiques des forages ZE1 et ZE1bis
Figure 6: Colonnes lithologiques des forages ZE1 et ZE1bis

Réalisé en 1989, le premier forage de Zeddiga (ZE1) a permis de traverser les dolomies de Tlemcen. Ces dernières se sont montrées très karstiques et ceci s’est traduit par des pertes totales de boues de forage aux côtes -22 m et -99 m (Lachachi,1996).L’équipement de ce forage fût impossible car le massif de gravier n’a pu être mis en place correctement. Ainsi, une quantité de 95 m3 du massif filtrant est passé dans la cavité de la côte -99 m. Ce forage a été abandonné et un second a été réalisé à proximité, à une distance de 20 m environ (ZE1bis). Les caractéristiques du forage ZE1bis se sont avérées complètement différentes. En effet, aucune perte de boue ni aucune cavité n'ont été constatées et les travaux d’équipements ont été normalement achevés. Par contre, la productivité de ce second forage s’est avérée nettement plus faible puisque le débit a été de 4 l/s, contre 20l/s pour le premier.

EPAISSEUR DE LA COUVERTURE MIO-PLIO-QUATERNAIRE

Afin de réduire au maximum l’épaisseur des terrains mio-plio-quaternaires qui sont très peu productifs voire stériles, la majorité des forages des piémonts nord sont implantés à proximité immédiate des affleurements Jurassiques. Etant donné que les contacts entre le Jurassique et les formations néogènes se produisent très souvent par faille, l’épaisseur de la couverture Mio-plio-quaternaire devient épaisse dès que l’on s’éloigne des affleurements jurassiques. Les niveaux aquifères sont atteints à de grandes profondeurs, ce qui rend le coût des forages élevé.

PROFONDEUR DES NIVEAUX PIEZOMETRIQUES

Les niveaux statiques dans les forages des piedmonts nord des monts de Tlemcen sont assez profonds. La figure 7 montre que plus de 37 % des forages étudiés présentent un niveau statique compris entre 20 m et 70 m de profondeur et plus de 50% sont caractérisés par une profondeur de plus profond que 50 m. Ceci rend le coût des ouvrages élevé et leur exploitation coûteuse. Cependant, dans le groupement de Tlemcen, ces aquifères karstiques se trouvent sous une couverture épaisse de formations mio-plio-quaternaire dont l'épaisseur varie de 6 m à 320 m dans la zone effondrée de Tlemcen. Ceci rend ces réservoirs captifs avec des niveaux d’eaux artésiens.

Figure 7: Profondeurs des niveaux statiques dans les forages
Figure 7: Profondeurs des niveaux statiques dans les forages

CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS

La structure géologique et l’identification hydrogéologique des aquifères contenus dans les formations calcaréo-dolomitiques du Jurassique supérieur des monts de Tlemcen sont certes assez bien connue, à la suite de toutes ces prospections. Cependant, il reste à mieux caractériser le comportement hydrodynamique de ces aquifères. Cette caractérisation ne peut se faire correctement sans :

  • La réalisation de certains travaux tels que les traçages pour améliorer nos connaissances sur l’écoulement souterrain de ces eaux karstiques et les communications qui peuvent exister entre certains points d’eau.
  • La réalisation de suivi piézométrique de tout le réseau de forages. On commencera par les forages exploités pour l’alimentation en eau potable, ensuite on intégrera les forages qui sont fermés ou en attente d’exploitation.

Enfin, ceci permettra une meilleure exploitation des ressources en eau des monts de Tlemcen et surtout une gestion active et durable.

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

ACHACHI A. (1996). Etude hydrogéologique des monts de Tlemcen. Rapport pour L’ANRH.

ALGEO (1979). Etude géoélectrique de la région de Tlemcen effectuée du 12/04 au 15/05/1979 pour la DEMRH.

AUCLAIR D., BIEHLER J. (1967). Etude géologique des hautes plaines oranaises entre Tlemcen et Saida, publ. Serv. Geol. Alg. Bull.34.

BENEST M. (1985), Evolution de la plate-forme de l’Ouest Algérien et du Nord-Est marocain au cours du Jurassique supérieur et au début du Crétacé : Stratigraphie milieux de dépôts et dynamique sédimentaire.

BENEST M., BENSALAH M., BOUABDELLAH H., OUARDAS T. (1999).

La couverture mésozoïque et cénozoïque du domaine Tlemcénien (Avant

pays Tellien d’Algérie occidentale): Stratigraphie, paléoenvironnement, dynamique sédimentaire et tecto-genèse alpine, bulletin du service géologique de l’Algérie, Vol.10, No2.

BENSAOULA F. (1992). Carte hydrogéologique d’Ouled-Mimoun et notice explicative au 1/50000, thèse de Magister, Université d’Es-Sénia, Oran.

BENSAOULA F., BENSALAH M, ADJIM M., LACHACHI A. (2003). L’apport des forages récents à la connaissance des aquifères karstiques des monts de Tlemcen, séminaire national sur l’eau, Saida, Octobre 2003.

COLLIGNON B. (1986). Hydrogéologie appliquée des aquifères karstiques des monts de Tlemcen, thèse de Doctorat nouveau régime université d’Avignon.

GAUTIER M. (1952). Le barrage des Beni-Bahdel et la conduite d’Oran, éléments de technologie des barrages algériens et de quelques ouvrages annexes, XIXème congrès géologique international, Alger 1952.

GEVIN P. (1952). Le projet de barrage sur l’oued Meffrouch, éléments de technologie des barrages Algériens et de quelques ouvrages annexes, XIXème congrès géologique international, Alger 1952.