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La zonation structurale de la Tunisie

Résumé

La zonation structurale de la Tunisie traduit sa position de transition entre les unités charriées issues de l’orogène alpin au Nord et le bâti africain au Sud. On peut y distinguer du Nord au Sud :

  • la zone des nappes de charriage caractérisée par |’empilement d’unités telliennes et numidiennes, largement allochtones, relayées au Sud par un ensemble d’écailles dont le front correspondrait au chevauchement de Touboursouk.
  • la zone des plis atlasiques, prolongement oriental de l’Atlas saharien, occupée par des anticlinaux décakilomètriques, allongés selon une direction N 30 à N 60, souvent coffrés, séparés par de vastes cuvettes synclinales. Des fossés d’effondrement mio-plioquaternaires découpent ces structures suivant une direction moyenne N 160.
  • la zone des structures liées aux grands accidents correspond d’une part aux structures de l’alignement N-S, et d’autre part aux faisceaux des plis de Moulares, de Metlaoui et des chotts, liés génétiquement aux couloirs de décrochement de Gafsa et de Megrine-Tozeur éléments de l’accident sud-atlasique.
  • la plate-forme orientale caractérisée par une subsidence lente au cours du Mésozoïque et plus active au cours du Cénozoïgue. Le style de sa déformation est marqué essentiellement par des jeux de horsts et de grabens, associés à des plis à grands rayons de courbure.
  • la plate-forme saharienne est une zone stable dont les sédiments ne sont que légèrement basculés.

Introduction

La Tunisie, avec l’Algérie et le Maroc, constitue la bordure orogénique alpine du bâti africain. Celle ci se prolonge en Sicile et en Calabre à l’Est, et elle est connectée à la cordillère bétique à travers l’arc de Gibraltar à l’Ouest. Au Sud, la plate forme saharienne constitue l’avant pays de cette orogène. Ainsi, la zonation structurale de la Tunisie reflète la transition depuis les unités de charriage issues de l’orogenèse alpin au Nord, jusqu’au bâti africain stable, au Sud.

Les principales zones structurales de la Tunisie

Du Nord vers le Sud, la Tunisie peut être subdivisée en cinq zones structurales :

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La zone des nappes de charriage

Le Nord de la Tunisie est caractérisé par l’empilement d’unités allochtones : l’unité numidienne et les unités telliennes d’Adissa, d’Eddis et du Kasseb (H. ROUVIER, 1973 et 1977). L’unité numidienne est formée d’une épaisse série de flysh argilogréseux d’âge argilo-aquitaníen. Elle couvre à la fois les unités telliennes et les dépôts miocènes marins de la Medjerda. L’unité d’Adissa est caractérisée par une série à microbrèches, d’âge sénonien à éocène. Elle constitue le substratum de la nappe numidienne. L’unité d’Eddis est marquée par une épaisse série d’argiles à boules jaunes d’âge sénonien à paléocène et par des calcaires à Globigérines éocènes. L’unité du Kasseb, formée de calcaires sénoniens, d’argiles à boules jaunes sénoniens et paléocènes et de calcaires à Globigérines éocènes, repose à son front sur le Miocène marin des monts de la Medjerda et à l’arrière sur son propre substratum crétacé.

Au Sud de ces unités allochtones, se développent dans la région de Bejaoua-Mateur une série d’écailles imbriquées, décollées au niveau des argiles paléocènes et caractérisées par un Éocène calcaire à Nummulites. Le front de ces écailles correspondrait au grand chevauchement de Touboursouk (F. ZARGOUNI, 1975 et V. PERTHUISOT,1977).

D’après les travaux de H. ROUVlER(1977), la mise en mouvement de ces nappes remonte au Langhien, et elles se sont immobilisées avant le Tortonien basal. Au cours du Tortonien, est intervenue une phase de compression génératrice de structures souples NE-SW associées à des jeux - ou rejeux - de décrochements E-W dextres, de failles inverses NE-SW et de failles normales NW-SE. C’est à cette phase que serait lié le volcanisme acide des Nefsa. Le Messinien correspond à une phase de détente accompagnée de venues de basalte et responsable de la subsidence des bassins molassiques néogènes de Ghardimaou et de Rafraf.

A la fin du Messinien et au début du Pliocène, intervient une seconde phase de compression donnant lieu à des plis d’orientation NE-SW néoformés ou en partie hérités des structures préexistantes, accompagnés du jeu ou du rejeu d’accidents E-W dextres, mais aussi d’accident NE-SW qui ont souvent évolué en importants chevauchements. Cette phase a été suivie d’une phase de détente correspondant aux dépôts pliocènes marins ou continentaux.

Une autre phase de compression est intervenue au cours du Quaternaire. Elle génère des plis isopaques à grands rayons de courbures avec une légère dissymétrie vers le Nord, et un rejeu des structures antérieures. Elle est suivie d’une phase de distension responsable de l’affaissement des dépressions quaternaires.

La zone des plis atlasiques

L’Atlas tunisien, prolongement élargi de L’Atlas saharien, correspond à une entité paléogéographique bien distincte : c’est l’île de Kasserine, individualisée à partir de l’Aptien et émergée au cours du Sénonien, caractérisée par une sédimentation de plate-forme à faibles épaisseurs avec d’importantes lacunes (P. F. BUROLLET, 1956). Elle est reliée vers le Nord au sillon tunisien par une zone à faciès intermédiaire.

Cette partie de la Tunisie est occupée par des anticlinaux décakilomètriques, allongés selon une direction variant de N30 à N60, souvent coffrés avec flancs assez raides, parfois déchirés par des failles directionnelles et séparés par de vastes synclinaux (JAUZEIN A., 1967 ;TURKl M. M., 1985).

Un fait marquant, c’est l’existence, orthogonalement à la direction générale de plissement, d’une série de fossés d’effondrement de direction moyenne N160 avec des branches E-W. Ces fossés, ébouchés au cours du Miocène, seraient induits soit par des translations du NW vers le NE selon une rotation dextre des blocs que ces fossés mêmes découpent entre eux (RICHERT J. P., 1969), soit par la réactivation d’accidents E-W en décrochements dextres, ouvrant ainsi des fossés de direction N160 selon le modèle des Ridels (BEN AYED, 1980).

A l’approche des failles bordières de ces fossés, les plis sont souvent affectés de déformations complexes : troncature des mégastructures anticlinales, torsions rapides des axes des structures majeures, apparition de plis d’entrainements à axes subverticaux. Cette disposition reflète un découpage préexistant réactivé lors des phases tectoniques récentes induisant d’importantes rotations de bloc, torsions des structures et entrainements.

La zone des structures liées aux grands accidents

Cette zone correspond à la limite entre la zone des plis atlasiques et les plates-formes orientale et saharienne qui la bordent à l’Est et au Sud. La structuration y est étroitement liée aux jeux de grands accidents actifs pendant toute l’histoire géologique connue de la Tunisie. On peut y distinguer : les structures de l’alignement N-S et les faisceaux de plis de Gafsa-Tozeur.

  • L'alignement N-S

C’est un ensemble de chaînons de direction moyenne N-S, formant un alignement morphostructural subméridien, continu depuis la région d’El Hamma de Gabès au Sud jusqu’au J. Bou Kornine d’Hammam Lif au Nord. L’originalité de cette branche orogénique est soulignée par sa direction et par sa position privilégiée à la limite entre deux entités géodynamíques ayant évolué différemment au cours des époques géologiques : la zone des plis atlasiques à l’Ouest et la plateforme orientale à l’Est.

Cet alignement est bien marqué dans les zonations paléogéographiques depuis le Jurassique au Quaternaire comme en témoignent les réductions ou condensations des séries sédimentaires avec souvent lacunes et discordances.

A ce rôle paléogéographique s’est ajouté un effet de buttoir (P. F. BUROLLET et R. S. BYRAMJEE, 1974) contre lequel se serait heurtées les séries de couverture donnant lieu à des plis étroits, de direction méridienne à subméridienne, déversés vers l’Est, évoluant le plus souvent en plis failles. Des décrochements orientés N 60 à jeu dextre, situés souvent dans le prolongement des plis atlasiques, provoquent des torsions axiales complexes des plis N-S et des écaillages intenses aboutissant à d’importants chevauchements à vergence Est ou Sud-Est (Ch. ABBES, 1983 ; J. OUALI, 1984).

  • Les faisceux de plus de Gafsa-Tozeur

Cette zone correspond à la limite méridionale de l’avant-pays plissé et au prolongement en Tunisie de l’accident sud-atlasique. Elle est affectée par d’importants couloirs de décrochement dextre à dextre-inverse de direction moyenne N 120-130 ; il s’agit de la faille de Gafsa à l’E-NE et de l’accident Negrine-Tozeur à l’W-SW. Ces deux couloirs forment une lanière où s’étendent les faisceaux de plis de Moularès, de Metlaoui et des Chotts, disposés en relais droit (F. ZARGOUNI, 1984). Les faisceaux sont d’ampleur décakilomètrique, de direction N 80, déjetés à déversés en général vers le Sud, présentant parfois, sur une partie de leur parcours, une orientation N 40 à N 60. Ils dessinent ainsi des virgations souples à cassantes ayant valeur d’accidents à jeu senestre. Les raccords entre les segments d’un même pli se font par des torsions à axe subvertical (F. ZARGOUNI et al., 1981).

Le dispositif structural est marqué par un découpage losangique à trapézoïdal bien réglé. Ce découpage comprend des zones étroites de direction moyenne N 80-90 ; très déformées et séparées par des synclinaux larges, à fond plat, formant de vastes plaines dont les altitudes décroissant en marche d’escalier, de 200 m du Nord au Sud ; l’ensemble est découpé par les deux couloirs de direction N 120-130 jouant en cisaillement dextre. Ces tectolinéaments correspondraient à des traits structuraux profonds, déformés avec le tréfond atlasique, jouant verticalement dans les superstructures et coulissant au gré des contraintes alpines.

Dans les deux zones, la déformation du substratum se réalise respectivement par écaillage et par coulissage, respectivement senestre et dextre des discontinuités structurales préexistantes de direction N 180 ±10 pour l’alignement N-S et N 80 ±10 et N 120 ±10 pour l’Atlas méridional, segment de l’accident sud atlasique, Les structures de la couverture naissent à l’aplomb de ces grandes discontinuités.

En effet, la géométrie des plis des différents faisceaux sub E-W de Moularès, Metlaoui et des Chotts, suggère un rétrécissement de la couverture à l’aplomb des fractures majeures sub-parallèles à leurs axes, réactivées en jeu inverse. En revanche, les plis de taille hectométrique à kilométrique, coniques et disposés en relais, ainsi que l’entrainement et le tronçonnement des mégastructures, traduisent en profondeur des zones de décrochement de direction N120-130, obliques par rapport à la direction du serrage.

La plateforme orientale

C’est une plateforme stable, régulièrement mais lentement subsidente au cours du Secondaire dont les faciès, reconnus par quelques forages, sont du type néritique de mer ouverte avec prépondérance de sédiments carbonatés (P. F. BUROLLET et R. S. BYRAMJEE, 1974). Par contre au cours du Cénozoïque, la subsidence devient plus active et permet l’accumulation de puissantes séries.

Les déformations tectoniques reconnues en profondeur par les données sismiques (P. HALLER,1983 ; M. BEDIR et C. BOBIER, 1986) n’affectent que des zones étroites, allongées et orientées selon trois directions majeures : N 45, N100-120 et N 160-180. Ces zones, mobiles à plusieurs époques géologiques et tectoniquement complexes, délimitent de vastes secteurs peu ou pas déformés.

Au cours du Crétacé supérieur - Paléocène, la plate-forme orientale est soumise à un régime distensif donnant lieu à des fossés allongés au N160 liés probablement à des failles N 130 senestres du type failles transformantes. L’ouverture de ces fossés est en accord avec les émissions volcaniques décalées en surface et en subsurface au Crétacé supérieur et qui caractérisent par ailleurs cette plate-forme orientale. Une compression éocène, manifestée d’une façon atténuée, provoquent des plis à grands rayons de courbures orientés en N 45 à N 60. Localement, cette tectonique a pu être accompagnée de manifestations diapiriques.

Au cours de l’Oligocène se développent des bassins localisés, orientés en N 45 et N 90-110 et contrôlés par une tectonique distensive.

La déformation miocène est beaucoup moins intense que dans le reste de la Tunisie. En effet, la plate-forme orientale n’est affectée que par des plis de direction N 45, accompagnés souvent par des failles inverses et associés à des décrochements N 90-110 dextres et 160-180 senestres.

Des témoignages des déformations plio-quaternaires sont reconnues à l’affleurement dans des zones étroites situées le plus souvent dans le prolongement de structures atlasiques et à l’aplomb d’accidents détectés par la sismique réflexion (M. BEDIR, 1986). Cette déformation est représentée par une succession d’anticlinaux dissymétriques, à flancs NW redressés, et par des décrochements N 90 dextres et N 160 senestres rejeux probables d’accidents préexistants.

La plateforme saharienne

C’est une plate-forme demeurée stable pendant tout le Mésozoïque et le Cénozoïque (G. BUSSON, 1961). Elle est affectée à sa bordure Est par l’accident sud-atlasique orienté en N 160, et responsable de l’effondrement de la plaine de la Djeffara à l’Est.

Conclusion

Exceptée la plate-forme saharienne, la Tunisie a toujours été une région instable pendant tout le Mésozoïque et le Cénozoïque. En effet, la partie NW était marquée par une subsidence prononcée et régulière ayant permis l’accumulation de puissantes séries qui, au cours du rapprochement des plaques africaine et euroasiatique, étaient chariées vers le Sud. En revanche, dans la zone des plis atlasiques et sur la plate-forme orientale, la subsidence était moins prononcée et plus irrégulière aussi bien dans le temps que dans l’espace.

Nous pensons que cette hétérogénéité est liée à des jeux de failles majeures délimitant des blocs. Il reste néanmoins à mieux cerner la contribution de ces discontinuités dans la genèse et l’évolution des structures actuelles, particulièrement dans la zone des plis atlasiques.

La structuration de la Tunisie méridionale est par contre mieux élucidée (F. ZARGOUNI, 1984 et 1985). Dans cette partie de l’Atlas, la configuration structurale semble bien induite par les activités des discontinuités structurales du substratum. Ainsi, nous pouvons considérer cette partie de l’Atlas méridional, entre Gafsa et Tozeur, comme un segment de la flexure sud-atlasique, région où la croûte continentale de la plate-forme saharienne qui était stable depuis le Précambrien supérieur, devient instable durant le Paléozoique et le Méso-Cénozoïque.

Le programme « Europeen geotravers » nous fournira certainement de plus amples informations à propos du substratum de ces zones structurales de Tunisie.

Bibliographie

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Professeur Fouad Zargouni