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Les premiers pas de la vie sur Terre

La question de l'origine de la vie est une question qui touche la corde sensible, les entrailles de l'Homme; elle s'adresse directement à son émotivité et à sa subjectivité. Tenter de comprendre la structure atomique d'un minéral ou de définir les paramètres de la fusion partielle du manteau ne relève pas des préoccupations métaphysiques de l'Homme. Mais s'attaquer à un problème comme l'origine de la Vie, c'est trop souvent tenter de concilier science, religion, mythes et croyances de toutes sortes, un exercice pour le moins périlleux.

De l'Antiquité jusqu'au milieu du 19e siècle, les savants ont éprouvé énormément de difficultés à aborder ce sujet de manière objective. Pendant des siècles, la seule théorie qui soit restée généralement admise, et ce malgré des réfutations expérimentales probantes, est la théorie de la génération spontanée, une théorie dont s'accomodaient assez bien les religions.

La génération spontanée.

On retrouve les traces d'une telle croyance dans les écrits les plus anciens de la Chine, de l'Inde ou de l'Égypte ancienne: des bambous donnent naissance aux pucerons, en autant que leurs jeunes pousses soient repiquées par temps chaud et humide; les mouches et les parasites naissent spontanément à partir d'ordures et de sueurs; les boues laissées par les innondations du Nil engendrent spontanément des grenouilles, des crapauds, des serpents, des souris et même des crocodiles.

C'est Aristote qui a réussi la synthèse des idées accumulées jusqu'à son époque et qui a formulé la thèse de la génération spontanée: "les plantes, les insectes, les animaux peuvent naître de systèmes vivants qui leur ressemblent, mais aussi de matière en décomposition activée par la chaleur du soleil".

Jusqu'à la Renaissance, les écrits abondent en récits d'observations de génération spontanée, mêlés de légendes diverses. Même durant la Renaissance qui est une période de grands bouleversements en ce qui concerne la conception de l'Univers, de grands penseurs comme Descartes, Newton et Bacon soutiennent l'idée de la génération spontanée. On passe même à l'expérimentation pour conforter la théorie. On propose des recettes pour fabriquer des souris à partir de grains de blé et d'une chemise sale imprégnée de sueur!

Au milieu du 18e siècle, le grand naturaliste Buffon est un ardent défenseur de la génération spontanée. Mais le doute commence à s'installer. Un savant italien, l'abbé Spallanzani, fait des expériences qui semblent montrer que lorsqu'on stérilise bien le système, il n'y a pas de génération spontanée. La polémique s'installe; la controverse va durer un siècle. Il faudra attendre Louis Pasteur, en 1860, pour clore le débat. Pasteur démontre, en mettant au point un protocole de stérilisation fiable, que la vie ne peut venir spontanément de la matière inanimée, du moins à l'échelle d'un laboratoire humain. On connaît l'importance de cette découverte pour la médecine. C'en était fait de la théorie de la génération spontanée.

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La vision de Darwin

L'autre grand naturaliste qui a profondément influencé le développement des idées sur l'origine de la Vie, c'est Charles Darwin, contemporain de Pasteur. Darwin n'a pas véritablement traité de l'origine de la vie comme telle, malgré le titre de son magistral traité "l'Origine des Espèces" où il s'attachait plus à démontrer comment se formaient et évoluaient les espèces. Darwin était biologiste et géologue; il possédait la notion du temps géologique. Il proposait que l'évolution s'était faite à travers les temps géologiques, selon une complexité croissante, du plus simple au plus complexe. Cela impliquait que les premiers êtres devaient être des formes très simples, des micro-organismes.

La panspermie.

Pour clore cette histoire des idées sur l'origine de la vie avant le 20e siècle, il faut signaler une autre théorie qui est née à la fin du siècle de Pasteur et de Darwin: la vie serait venue du cosmos. Cette théorie a été développée par l'allemand Richter, en 1865. Selon ce dernier, les corps célestes libèrent des particules qui contiennent des germes de micro-organismes appelés cosmozoaires et qui ont été amenées sur terre par les météorites. L'idée a aussi été reprise au tout début du 20e siècle, en 1906, par le savant suédois Svante Arrhenius, prix Nobel de chimie, mais sous une forme plus élaborée: la panspermie.

La soupe primitive des biochimistes.

Après les travaux de Pasteur et de Darwin, il devenait inévitable que la pensée rationaliste tente d'étendre à la matière inerte les concepts de l'évolution. Il était de plus en plus difficile de concevoir la genèse des êtres vivants en dehors du développement évolutif de la matière. On tente de faire le pont entre la physique et la chimie. Deux hommes principalement ont contribué à l'essor de cette démarche qu'on qualifie souvent de démarche biochimiste: le biochimiste Oparine et le biologiste Haldane.

Alexandr Ivanovitch Oparine (1894-1980), un biochimiste soviétique, a développé ses idées sur l'évolution de la matière inanimée vers la matière vivante, en proposant une théorie conceptuelle de l'apparition de la vie. Il faut signaler que bien qu'on attribue généralement cette conceptualisation à Oparine, un biologiste anglais, John Haldane (1892-1964), a aussi proposé à peu près la même chose, au même moment et de façon indépendante. On devrait donc à la vérité de parler de la théorie d'Oparine-Haldane.

Pour ces deux hommes de sciences, il faut sortir du cercle vicieux qui dit que seule la vie peut produire la vie. Et il faut aller chercher les évidences de l'origine de la vie à partir de la formation de la Terre. Les deux schémas qui suivent expliquent la vision d'Oparine et d'Haldane sur l'origine de la vie ou, devrait-on dire plus justement, l'origine des molécules organiques essentielles à la vie.

Au moment de la formation de la terre, il y a 4,55 Ga, il s'est établie une relation entre la Terre (T) et le Soleil (S), une relation qu'Oparine et Haldane comparent à une réaction chimique.

Dans une réaction chimique, il y a trois composantes essentielles: les réactifs (des composés chimiques), le réacteur (par exemple, un ballon, une fiole ou un bécher) et une source d'énergie (par exemple, la chaleur). Dans les premiers temps de la formation de la terre, ces trois composantes étaient en place: le réacteur, l'atmosphère terrestre; la source d'énergie, le soleil; les réactifs, tous ces gaz et composés chimiques émis tant par le soleil que par la terre.

Pour Oparine et Haldane, la clé de la proposition, c'est la composition de l'atmosphère primitive de la Terre. Le coeur du Soleil est riche en éléments tels que l'hydrogène (H), l'oxygène (O), l'azote (N) et le carbone (C). L'atmosphère du soleil est constituée d'hydrogène. Les éléments du coeur se combinent vite à l'hydrogène de l'atmosphère solaire pour former des gaz, comme le CH4 (méthane), le NH3 (amoniaque) et l'H2O (vapeur d'eau), tous des gaz transmis à l'atmosphère terrestre. D'autre part, le dégazage de la terre, entre autres par les volcans, émet des gaz comme l'H2O, le CO2, l'H2S. Le résultat final de tout ceci est que l'atmosphère primitive aurait été composée de gaz comme le CH4, l'H2O, le NH3, le CO2, et le H2S, une atmosphère bien différente de celle que l'on connaît aujourd'hui. Toutes ces molécules légères flottaient donc autour de la planète. Tout était en place pour la grande réaction chimique, celle qui va donner naissance aux premières molécules organiques dans la soupe primitive.

Les radiations UV venant du soleil (la source d'énergie principale) brisent les molécules simples de l'atmosphère primitive et libèrent des radicaux très réactifs qui rapidement se combinent pour former des molécules plus grosses, plus complexes et plus lourdes. On peut aussi considérer que les décharges électriques que sont les éclairs, ainsi que les volcans, ont fourni une source énergétique additionnelle. Avec la condensation des vapeurs d'eau qui forme des nuages dans la haute atmosphère puis qui retombent en pluie, toutes ces nouvelles molécules tombent à la surface de la planète, dans les nouveaux océans. Ces nouvelles molécules, sont des molécules composées de C-H-O-N (carbone-hydrogène-oxygène-azote), des molécules qu'on dit organiques. C'est le bouillon primitif, la soupe primitive. C'est dans cette soupe primitive que les molécules organiques auraient progresssivement évolué vers les molécules vivantes.

Pour Oparine et Haldane, les deux conditions essentielles au développement de la vie ont été fixées à ce moment: les bases de sa composition chimique, CHON; et une source d'énergie permanente, l'énergie solaire. Il faut réaliser que tout cela était conceptuel; aucune expérimentation n'avait été tentée.

Il a fallu attendre le milieu des années 1950 pour qu'un jeune doctorant, Stanley Miller, qui travaillait dans le laboratoire de Harold Urey, prix Nobel de chimie, à l'Université de Chicago, se lance dans une aventure des plus périlleuses pour un aspirant au doctorat: tenter de reconstituer en laboratoire les conditions postulées par Oparine et Haldane pour l'apparition de la vie, tout au moins de la fabrication des molécules de la vie. Il conçut un montage où le réacteur est un système fermé, parfaitement stérile, dans lequel on peut faire le vide.

Dans un ballon où il y a de l'eau (H2O), il introduit les gaz CH4, NH3 et H. Sous l'effet de la chaleur produites par une flamme, l'eau est vaporisée. Il y a donc un mélange gazeux de H2O, CH4, NH3 et H (les réactifs) qui est libéré dans le système: c'est l'atmosphère primitive d'Oparine et Haldane. Grâce à deux électrodes, des étincelles sont produites pour simuler les éclairs: c'est la source d'énergie. Suivant la théorie d'Oparine-Haldane, c'est là que devraient se former les molécules organiques. Un réfrigérant amène la condensation de la vapeur d'eau qui entraîne avec elle les molécules nouvellement formées: c'est la pluie. Finalement, le tout s'accumule dans la base du montage: ce sont les océans primitifs.

C'est à la base de ce montage que les molécules organiques devraient s'être accumulées. Il ne restait qu'à analyser cette "soupe primitive". C'était là la composante téméraire du projet de Miller. Comment parvenir à analyser tous ces produits. Cela peut paraître simple pour le non initié, mais pour l'homme de laboratoire, surtout à l'époque, c'était une tâche des plus difficiles. Malgré toutes les difficultés, Miller a réussi à isoler un certain nombre de molécules, et surtout à démontrer qu'il avait produit ces fameuses molécules organiques prédites par Oparine-Haldane.

Par la suite, plusieurs laboratoires se sont lancés dans le même genre d'expérimentation et on finalement confirmé les résultats de Miller. Les bases d'une discipline scientifique nouvelle venait d'être jetées: la chimie prébiotique, c'est-à-dire la chimie des molécules juste avant la vie, ces molécules qui ont servi à fabriquer la vie. On a découvert dans cette "soupe primitive" des molécules organiques qui aujourd'hui constituent la base de la matière vivante, certains disent les briques de la vie. En voici des exemples:

Si par exemple, une molécule de vapeur d'eau (H2O) est combinée avec une molécule de méthane (CH4), deux gaz supposément présents dans l'atmosphère primitive, on obtient une molécule de formaldéhyde, formée d'un carbone, de deux hydrogènes et d'un oxygène. Si cinq de ces molécules de formaldéhyde sont combinées, on obtient une molécule complexe qu'on appelle le ribose, qui est un sucre à 5 carbones, une des briques du vivant. Si méthane (CH4) et amoniaque (NH3) sont combinés, on obtient l'acide cyanhydrique composé d'un carbone et de deux oxygènes. Si cette molécule d'acide cyanhydrique est multipliée par 5, on a l'adénine, un des nucléotides essentiel à la formation de l'ADN. Si trois produits, le formaldéhyde (obtenu par la combinaison eau et méthane), l'eau et l'acide cyanhydrique (obtenu par la combinaison méthane et amoniaque) sont combinés, on obtient des molécules très importantes pour la vie, des acides aminés dits biologiques qui sont essentielles à la synthèse des protéines et qui conduisent à la formation de glucose.

Mais il faut bien réaliser ici qu'on n'a pas synthétisé la vie: on a synthétisé les molécules essentielles à la construction de la vie, certaines briques de la vie; mais un tas de briques ne fait pas encore un édifice. La force de l'expérience de Miller et des autres expérimentations qui ont suivi est d'avoir démontré que les molécules de base pour la vie peuvent être fabriquées dans les milieux naturels. Mais il est important de comprendre qu'on n'a pas démontré que ces synthèses se sont faites nécessairement dans l'atmosphère primitive selon le scénario d'Oparine-Haldane.

Cette chimie prébiotique fondée sur la fabrication de molécules organiques à partir de ce qu'on croyait être l'atmosphère primitive se butte à un certain nombre de problèmes. Il y a trois problèmes majeurs: la composition de l'atmosphère primitive, la concentration des molécules dans l'océan primitif, et les interactions chimiques dans la soupe primitive.

1) La composition de l'atmosphère primitive.

Oparine, Haldane et Miller postulent une atmosphère de méthane, d'eau, d'amoniaque, de gaz carbonique et d'hydrogène sulfuré, une atmosphère construite à partir de composés venant en partie du Soleil et en partie du dégazage de la Terre. Aujourd'hui, on considère qu'il est peu probable que l'atmosphère terrestre ait été formée de cette façon. L'atmosphère aurait plutôt été formée par le seul dégazage du manteau de la terre, durant les premiers temps de sa formation Les volcans auraient été beaucoup plus nombreux qu'aujourd'hui. On a de bonnes raisons de croire que l'atmosphère des premiers temps de la Terre était composée principalement de vapeur d'eau (H2O), de dioxyde de carbone (CO2) et d'azote (N), avec des quantités mineures de méthane (CH4), d'amoniaque NH3 et de dioxyde de soufre (SO2), mais sans hydrogène, ni oxygène. Aujourd'hui, les chimistes du prébiotique s'accordent à dire que l'atmosphère idéale aurait dû être riche en méthane, azote et eau. Cela n'est pas l'atmosphère d'Oparine-Haldane. Ces chimistes sont aussi d'accord pour dire qu'une atmosphère riche en CO2 serait tout à fait défavorable aux premières formes de vie. Or cela pose un problème: le CO2 est essentiel pour créer et maintenir l'effet de serre sans lequel il n'y aurait pas d'eau sous forme liquide sur la terre en maintenant une température au-dessus du point de congélation. Pas de CO2, pas d'eau liquide; mais l'eau liquide est essentielle à la chimie des molécules prébiotiques! C'est le cercle vicieux.

2) La concentration des molécules prébiotiques dans la soupe primitive.

Les chimistes s'entendent pour dire que pour que les réactions voulues se fassent, il faut une concentration très grande des produits, plus grande que cette pluie de molécules dans les océans primitifs n'aurait pu le permettre. Certains contre-argumentent en proposant que la concentration aurait pu être suffisante dans les gouttelettes de pluie avant leur dilution dans l'océan et que c'est là que ce seraient formées les molécules, ou encore dans des grêlons.

3) Les interactions chimiques dans la soupe primitive.

Il devait y avoir énormément de produits chimiques dans cette soupe, des produits qui pouvaient soit aider les réactions (des catalyseurs) ou, au contraire, les empoisonner (des inhibiteurs). On est encore loin de comprendre toutes ces interactions. En laboratoire, on travaille avec des systèmes simples, simplifiés même, et déjà les manipulations s'avèrent très complexes. On devra de plus en plus faire appel aux modélisations théoriques pour mieux arriver à cerner la réalité naturelle.

Quoiqu'il en soit, avec les expériences de Miller, on est encore loin de la synthèse de la vie; on n'en n'est qu'aux molécules prébiotiques. Pour passer au stade de vie, ces molécules organiques doivent réussir sur quatre plans: utiliser l'eau liquide; se fabriquer une enveloppe qui leur permettra de garder leurs constituants et de contrôler les échanges avec l'extérieur, utiliser les composés chimiques du milieu pour satisfaire leurs besoins nutritifs et énergétiques; et être capables de faire des copies conformes ou presque, en d'autres termes, de se reproduire. Toujours selon la démarche biochimiste, les molécules prébiotiques ont passé avec succès l'examen, mais on ne sait trop comment. Les expériences de laboratoire sur les chaînes d'acides aminées, les acides nucléiques ARN et ADN, et les protéines, apportent plusieurs éléments de réponse, mais pas la réponse encore. Les biochimistes cherchent encore la bonne combinaison qu'ils ont bon espoir de trouver.

On peut résumer ainsi les étapes essentielles qu'auraient franchies les molécules prébiotiques dans leur cheminement vers la vie.

Les molécules prébiotiques auraient d'abord inventé un mécanisme qui leur aurait permis d'utiliser les produits organiques du milieu: le mécanisme de la fermentation. C'est la naissance des premiers hétérotrophes, c'est-à-dire des cellules qui se nourrissent de n'importe quelles matières (molécules) organiques en abondance dans l'eau. Cette fermentation produit des déchets, dont le CO2. Un second mécanisme utilisant le CO2 aurait ensuite été inventé: la photosynthèse, utilisant comme source d'énergie, l'énergie solaire. Ce sont les premiers autotrophes, des cellules qui se nourissent des seuls éléments minéraux. Les produits de la photosynthèse sont des matières organiques sous forme de carbohydrates (CH2O)n et de l'oxygène libre (O2). On connaît la suite: l'oxygène sera utilisé lors de l'invention d'un troisième mécanisme: la respiration, qui produira comme déchets le CO2. Voilà que le cycle oxygène-CO2 est bouclé. Ce n'est qu'avec la production d'oxygène photosynthétique que ce gaz s'accumulera dans l'atmosphère et qu'éventuellement se formera la couche d'ozone protégeant la vie des radiations UV.

Un dernier problème est posé à l'hypothèse voulant que la vie soit apparue à la surface des océans: une atmosphère primitive sans oxygène, donc sans couche d'ozone, devait laisser passer toutes les radiations UV; un bien grand péril pour la vie!

Les oasis des fonds océaniques

On a vu que les géologues et géophysiciens ont découvert à la fin des années 1970, au niveau des dorsales médio-océaniques, des sources hydrothermales causant la précipitation de sulfures massifs et soutenant une vie exhubérante.

Comme il est mentionné à la section 3, les découvertes se sont faites d'abord sur deux zones qui ont été étudiées en détails sur quatre sites pour chacune: sur la dorsale des Galapagos et sur la dorsale du Pacifique à 13° N. Ces sites présentaient une faune si riche qu'on leur a donné des noms évocateurs tels que le Jardin des Roses, le Banc des Moules, le Jardin du Paradis, le Menu Fretin, etc. On sait qu'il n'y a pas que des sources chaudes à 350 °C comme celles qui forment les sulfures métallifères. Il y a aussi les sources tièdes, à 15 ou 20 °C, et intermédiaires (jusqu'à 40 °C); c'est principalement autour de ces sources que se retrouve le peuplement animal. En fait, on a réalisé que la température de l'eau dans les peuplements les plus denses ne dépasse pas les 15 °C. On y a découvert que la biomasse, c'est-à-dire la quantité de matière vivante par unité de volume, est de 10 000 à 100 000 fois plus grande sur ces sites que dans le milieu environnant.

Les oasis des fonds océaniques sont des zones florissantes de vie en milieu tout à fait aphotique (sans lumière). En absence de possibilité de photosynthèse, c'est la chimiosynthèse qui fourni l'énergie primaire à la vie. Des bactéries dites chimiotrophes tirent leur énergie du soufre (S) abondant dans ce milieu (sous forme de H2S) et convertissent le carbone inorganique du milieu en carbone organique. Ces bactéries se distinguent des hétérotrophes qui, elles, façonnent leurs propres constituants cellulaires à partir de matières organiques du milieu, et des autotrophes qui fabriquent le carbone organique à partir du CO2 en utilisant l'énergie solaire.

Plusieurs ont proposé qu'il s'agissait là d'un environnement idéal pour l'apparition de la vie sur terre:

  • il y a une source d'énergie intarissable, le H2S provenant des fluides du magma sous-jacent;
  • le processus de la chimiosynthèse y est effectif;
  • la vie est protégée des radiations UV sous plus de 2500 m d'eau;
  • c'est un système qui existe depuis le tout début de la terre et qui devait être encore plus actif durant la formation de la première croûte océanique.

Mais, il n'y a pas unanimité, et un des principaux opposants est Stanley Miller. Le contre-argument utilisé par Miller apparaît cependant quelque peu simplifié: il a démontré que la stabilité des acides aminés à des températures de 350 °C était très précaire et qu'il serait surprenant que les premières formes de vie soient nées à de telles températures. On doit lui rétorquer que l'environnement hydrothermal n'est pas homogène. Les température de 350 °C n'existent que dans les cheminées chaudes; aussitôt expulsées, ces eaux se mêlent aux eaux ambiantes et la température s'abaisse rapidement. De plus, il y a les sources tièdes, à des températures inférieures à celles qu'on suppose pour la soupe primitive. Le thermodynamicien et géochimiste Everett Shock a montré que les synthèses organiques sont possibles dans les contraintes de l'environnement des sources hydrothermales. Des chercheurs japonais ont présenté les résultats préliminaires d'expériences de simulation, à l'effet que dans un milieu aqueux, un mélange de méthane, d'azote et de CO2 à 260-325 °C pouvait produire des acides aminés; mais ces expériences sont pour le moment examinées avec circonspection par la communauté scientifique.

D'autres opposants à l'idée d'une origine de la vie reliée aux sources hydrothermales profondes utilisent l'argument de la courte durée de vie d'une cheminée, une cinquantaine d'année. C'est vrai pour une cheminée donnée, mais sur un même site, il y a plusieurs cheminées; certaines meurent pendant que d'autres naissent.

Aujourd'hui on sait que les sources hydrothermales ne se retrouvent pas qu'aux dorsales océaniques. Par exemple, on a découvert au pied de l'escarpement au large de la Floride, par 3200 m de fond, des oasis associés à des sources riches en H2S; ces sources proviennent de l'eau qui percole à travers toute la colonne de sédiments. Au large de l'Orégon, dans la zone de subduction associée à l'enfoncement de la plaque Juan de Fuca, on a aussi trouvé de la vie associée à des sources riches cette fois en NH3 (amoniaque) et CH4 (méthane); ces sources proviennent de l'expulsion de l'eau des sédiments à cause de la compression due à la subduction. Dans la fosse du Japon (zone de subduction) on a trouvé par 3800 et 5800 m de fond des organismes semblables aux moules qui vivent au dépend du CH4. Les scénarios possibles pour l'apparition de la vie sur les planchers océaniques, à la faveur de la chimiosynthèse, ne manquent pas.

Trouvera-t-on un jour un de ces systèmes hydrothermaux fossilisé qui pourrait nous donner quelques indications sur les premières formes de vie et possiblement nous apprendre comment elles sont apparues? C'est peu probable, car les planchers océaniques sont perpétuellement recyclés dans les zones de subduction. Le plus vieux plancher connu date de 170 Ma; c'est bien peu par rapport à l'âge de l'apparition de la vie sur Terre (autour de 3,5 Ga).

La vie sur la pyrite

Certains, comme Gunther Wachterhauser, essaient de se détacher de la contrainte de l'évolution de molécules prébiotiques comme le proposent les biochimistes. Ce dernier propose que les organismes vivants primitifs auraient été des molécules organiques autocatalytiques qui auraient utilisé directement le CO2, un peu comme le font les plantes, et qui auraient tiré leur énergie de la pyrite (sulfure de fer) à laquelle elles auraient été attachées. Ces molécules auraient formé un film organique sur la pyrite et proviendrait de la réduction du CO2 par le H2S et le fer à l'état réducteur (état du fer dans la pyrite). Il y aurait donc eu une relation intime entre molécules organiques vivantes primitives et la pyrite. Il est intéressant de noter que la pyrite est un des minéraux les plus abondants dans le milieu des sources hydrothermales.

La panspermie (bis)

On a vu plus haut, qu'au début du siècle, certains ont proposé que la vie était venue du cosmos. Si on fait exception de toutes ces théories ésotériques qu'on accepte facilement sans jugement critique de nos jours, ce qui a ravivé un certain intérêt pour l'hypothèse cosmique, c'est la découverte de molécules organiques dans certaines météorites. Les grosses météorites se vaporisent littéralement lorsqu'elles touchent le sol, alors que les petites (quelques centimètres à quelques dizaines de cm de diamètre) demeurent intactes. On a extrait de certaines petites météorites des molécules organiques qui présentent des structures ressemblant aux membranes des cellules vivantes. On a aussi isolé un pigment jaune capable d'absorber de l'énergie à partir de la lumière. Certains proposent que ce pigment pourrait avoir agi comme la chlorophyle des végétaux dans le processus de photosynthèse.

Les météorites représentent peu en volume. Mais les poussières cosmiques qui atteignent continuellement notre planète sont évaluées en volume à 100,000 fois le volume des météorites qui ont été conservées sur terre. Ces poussières auraient pu transporter des molécules organiques comme celles des météorites. Cela signifie-t-il qu'il s'agit d'une vie venant de l'espace? Il faut voir qu'il y a tout un monde entre la présence de molécules organiques (non vivantes) et la matière vivante. Il n'en demeure pas moins qu'on ne peut balayer du revers de la main ce genre d'évidence et qu'on se doit d'explorer le sujet. Évidemment, ce genre d'observation soulève toute la question d'une vie extra-terrestre, une question qui ne peut être résolue de façon dogmatique et qui demande qu'on s'y penche avec sérieux et objectivité.

Darwin a écrit:

"La vie est apparue dans un petit étang chaud, dans lequel il y avait un riche bouillon de produits chimiques organiques, à partir desquels s'est formé le premier organisme primitif à la suite d'une longue période d'incubation durant les temps géologiques".

Darwin

Comme on vient de le voir, les hypothèses mises de l'avant aujourd'hui sont bien loins de cette image d'Épinal. Les chimistes et biochimistes voient naître la vie grâce à des réactions chimiques rapides, dans une atmosphère primitive bouleversée par les radiations solaires, les éclairs et les volcans. D'autres voient apparaître la vie dans des sources hydrothermales chaudes, dans les profondeurs des océans. D'autres finalement voient venir la vie du cosmos.

Rien à voir avec le petit étang calme de Darwin et un développement lent et progressif, comme le veut d'ailleurs l'idée darwinienne de l'évolution.

Que conclure de tout cela?

La zone du système solaire où pression et température permettent la présence de l'eau liquide qui semble un prérequis à la vie est très étroite; seule la Terre se trouve dans cette zone. Il est probable que la vie soit apparue sur terre à cause de ces conditions. La vie existe peut-être dans le cosmos sous forme de molécules rudimentaires qui ne peuvent trouver de terrain fertile pour leur développement que sur terre.

Une question fondamentale se pose: la vie doit-elle n'avoir qu'un seul mode d'origine? Est-il concevable que la vie soit née à partir de plus d'un mécanisme?

Quelque soit le scénario que l'on invoque pour l'apparition de la Vie sur Terre, il n'en demeure pas moins une réalité: cette Vie est apparue très tôt dans l'histoire de la Terre, et elle a par la suite évoluée. Cette évolution a d'abord été très lente et il a fallu 3 milliards d'année avant que n'explose la biodiversité; 3 milliards d'années où pratiquement seules les bactéries ont occupé tout l'espace disponible